Omote
 et ura possèdent de multiples applications et de nombreux niveaux de 
lecture. Malcolm Tiki Shewan nous les dévoile à travers une présentation
 de leurs kanjis et un parallèle avec les notions d'irimi et tenkan.
Derrière tout ce que nous voyons il y a…
Le
 pratiquant débutant en Aïkido est confronté le premier jour qu’il pose 
un pied sur le tatami, à une quantité de termes venant du japonais dont 
il n’a aucune notion de la signification. Le piège ici est - “la 
traduction”… A savoir, trop souvent, on se contente d’une traduction 
littérale des mots et, entendant ces mots (en 
traduction) on comprend un sens (familier). Je dis bien “un sens” car, 
en réalité, la véritable signification des mots est peut-être loin de sa
 traduction littérale, ou, beaucoup plus vaste ou profonde que l’on 
n’imagine en s’arrêtant là. 
J’encourage toujours tout 
le monde à faire des recherches approfondies du vocabulaire et des 
calligraphies qu’on trouve dans le Budo. Parfois des gens, de longue 
expérience même, n’ont pas poussé leurs recherches assez loin, ou, sans 
le savoir, gardent très longtemps des sens incomplets voire faux. En 
matière de langue japonaise on peut dire : “Ce qui est sûr est que rien 
n’est sûr…”. Contrairement à notre habitude d’arriver à des définitions 
précises, le Japonais, s’écrivant en idéogrammes, préserve “un sens 
élastique” qui permet de déceler différents aspects dans  la définition 
issue du dit "pictographe". De surcroît, le sens voulu peut très bien 
être une chose dans le contexte d’une école, et 
autre chose dans un autre courant. Nous allons rencontrer ceci dans le 
cas de omote/ura dans le contexte de l’Aïkido, et dans son utilisation 
dans d’autres courants martiaux. 
En matière de langue japonaise on peut dire : “Ce qui est sûr est que rien n’est sûr…”.
Omote et ura en kanji
Regardons, d’abord, globalement la signification de ces deux caractères.
Omote
 - Dans la langue japonaise le premier sens de ce caractère est “devant”
 ou “l’avant”; “la face”. Ce que l’on voit devant. L’extérieur des 
vêtements, ce qui est sur la surface, ce qui est visible de toute 
évidence, l’apparence. Par extension, ce mot peut indiquer une position 
ou un point de vue officiel.
Ura
 - Le premier sens de ce caractère est "intérieur" ou le "revers de la 
face" - à savoir "ce qui est derrière". Ce terme est compris comme étant
 "ce qui est caché" ou la face cachée et, par extension, il indique le 
"vrai motif ou intention de quelque chose" - le sens caché. 
Si omote peut être compris comme étant la surface, ura est ce qui est en dessous de cet aspect superficiel.
Ces
 deux termes possèdent une relation yin/yang - c’est à dire, une 
complémentarité opposée et c’est l’un qui crée l’autre… On considère que
 dans le contexte de la compréhension de quelque chose il existe 
simultanément ces deux aspects - omote/ura - qui complètent et font 
naître un tout. Dès qu’il existe omote  -  il y a toujours ura. Par 
conséquent, notre compréhension - d’un sujet, d’un concept, d’une 
position, d’une action, d’une structure, d’une technique et ad infinitum
 - n’est complète et entière que lorsque l'on a saisi totalement ces 
deux sens ensembles.
Pour simplifier à l’extrême nous 
pouvons prendre l’exemple de la pièce de monnaie avec pile/face ou la 
lune avec sa face cachée. Qu’est-ce qui nous fait tant rire lorsqu’on 
entend la phrase : “Il a coupé des tranches si fines qu’il n’y avait 
qu’une face…” ? C’est cette évidence qui s’explique par omote/ura. Ce 
qui nous intéresse ici est comment ces deux termes sont employés dans la
 pratique de l’Aïkido et dans d’autres Arts Martiaux.
Que désignent omote et ura dans les cursus des traditions martiales ?
Le
 sens premier de omote/ura que nous rencontrons dans le Budo concerne 
principalement les aspects du curriculum ou de l’enseignement dans 
certaines écoles. Souvent on est initié à une série de techniques dites 
“omote waza”. Cet ensemble de principes est généralement enseigné d’une 
manière qui cache leur vrai sens par moyen de modifications diverses  - 
 ie. : ma-ai, cibles, intentions, rythme, vitesse d’exécution, noms, 
situations, directions, applications, etc. Dans le même temps, ces 
techniques subtilisaient, la plus part du temps, les principes 
fondamentaux et plus importants du Ryu. L’idée de la série Omote 
faisait, donc, en sorte que le pratiquant devait ‘creuser’ longtemps 
pour mettre à jour lui-même le véritable sens de cet ensemble de 
techniques. Plus tard et à son tour ce pratiquant comprendrait l’utilité
 et la logique, lorsqu’à son tour, il devait assurer la transmission de 
l’école. Ce qui est drôle de constater est qu’aujourd’hui le débutant 
apprends belle et bien une quantité énorme de techniques de l’école sans
 en être conscient de leur vrai sens et de leur importance - ces waza 
sont souvent relégués aux “techniques basiques” et traitées comme si 
elles était inférieures ou "seulement pour les débutants" et, au pire, 
sont ignorées. L’élément positif (que l’on peut constater, donc, 
aujourd’hui encore) est que cette formule réussi très bien a dissimuler 
"les secrets de l’école". Ainsi ces techniques pouvaient être présentées
 en publique sans crainte que l’intégrité du Ryu soit compromise. Ceci 
était, en effet, un souci réel à l’époque où on pouvait être victime de 
sa propre technique "volée" (mitori) par un ennemi astucieux. Omote 
avait donc un sens hautement éducatif et formateur, mais en même temps 
protectionniste, et fut aussi un moyen de tester la sincérité d’un 
membre nouveau de l’école.
On trouve aussi tout 
simplement une utilisation des termes omote et ura en tant que nom de 
séries de kata. Par exemple, Shoden omote waza ou Omote no ken et ainsi 
de suite. L’école de Shinto Muso ryu Jodo en est un excellent exemple. 
La première série de kata qu’on apprend s’appelle “Omote waza”  - Il y a
 12 kata dans cette série, chacun avec son nom 
propre. Lorsqu’on apprend, un certain temps plus tard, la quatrième 
série - Kage waza - on découvre que les kata ont tous les mêmes noms et 
qu’ils ressemblent tous à leur forme correspondante dans “Omote waza”. 
Le mot “kage” désigne “l’ombre” et, dans ce sens, indique que ces 
techniques sont les “ura waza” de la première série - une face cachée 
des techniques que l’on connait depuis ses débuts dans la discipline ! 
C’est ici aussi que le vrai sens combatif de la technique est dévoilé.
Une
 utilisation des deux termes - omote/ura - relativement simple et 
compréhensible se trouve dans la nomenclature du sabre. Quand le katana 
est porté dans la ceinture avec le tranchant vers le haut la partie 
tournée vers l’extérieure est “omote” et la partie de la lame vers le 
corps du porteur est “ura”. Le forgeron, par exemple, signe sur l’omote 
et si on trouve une signature sur le ura cela peut indiquer que le sabre
 fut conçu initialement comme un Tachi (qui est porté avec le tranchant 
vers le bas). On peut noter que lorsque la personne dégaine son sabre et
 prends une position de garde le “omote” de la lame est aussi le côté 
omote de l’adversaire comme expliqué dans la prochaine paragraphe. 
Cependant, je serai prudent avant de dire que ceci constitue plus qu’une
 coïncidence…
Omote et ura en tant que repères spatiaux
La
 prochaine situation où on rencontre l’utilisation des mots omote et ura
 est lorsqu’on regarde son adversaire de face. S’il se tient dans une 
position de garde comme chudan no kamae à droite - c’est à dire avec son
 pied droit avancé et la main droite en avant - son côté gauche est 
appelé “omote” (ceci est aussi “l’intérieure” de sa garde) et, à sa 
droite, nous avons “ura”. On peut observer que d’attaquer son “omote” 
nous amène à rentrer vers sa face devant et d’attaquer son “ura” nous 
amène sur le chemin vers son arrière.
C’est dans cette 
utilisation que nous retrouvons le sens appliqué, la plupart du temps, 
dans les bases de la discipline d’Aïkido. Plus particulièrement quand 
nous regardons l’ensemble des immobilisations (osae waza) - ikkyo, 
nikyo, sankyo, yonkyo, gokyo, hiji gatame - nous voyons que la forme 
omote rentre sur l’adversaire de face et la forme ura passe autour en 
direction de l’arrière. 
Il ne me semble pas que 
l’intention ici est de dire que la forme ura est, en fait, le vrai sens 
(caché) de la forme omote; ou que la forme ura représente un sens plus 
combatif que son complément omote comme nous avons vus ci-dessus.
Je
 pense que, dans l’Aïkido, nous employons omote et ura comme une sorte 
d’expression pour yin et yang (in-yo) - deux aspects d’une seule et même
 chose. On peut également observer qu’il existe des techniques qui, pour
 des raisons de "logique d’application" (ri-aï), ont seulement une forme
 ura ou seulement une forme omote (gokyo en est un exemple). Cependant, 
ce qu’on ignore souvent est que dans omote et ura il existe forcément 
une relation de “relativité” de l’un à l’autre à tout moment. 
C’est
 à dire qu’une technique - par exemple shomen uchi ikkyo - exécutée 
d’une manière entrant diagonalement (sankaku) - ce que nous aurons 
tendance à appeler ikkyo omote - sera clairement omote, par rapport à un
 mouvement exécuté en passant à l’extérieure de l’adversaire tournant 
vers son arrière, que l’on appellera ura waza. Cependant, quand je parle
 de la relativité des termes omote et ura, il est possible d’exécuter 
shomen uchi ikkyo sans sortir de la ligne d’attaque, quasiment en ligne 
droite, et, dans ce cas, on peut considérer que shomen uchi ikkyo 
chokusen est omote par rapport à shomen uchi ikkyo sankaku qui, lui, est
 omote par rapport à shomen uchi ikkyo tenkan; et, de même, que shomen 
uchi ikkyo sankaku est ura par rapport à shomen uchi ikkyo chokusen et 
ainsi de suite…
Omote et ura en Aïkido
Je
 crains que nous risquions de devenir trop compliqués ici avec une 
conception plutôt simple. Donc, en Aïkido aujourd’hui, pour de raisons 
de simplification, nous utilisons les termes omote et ura pour 
distinguer deux aspects - entrée de face et entrée vers l’arrière de 
l’adversaire - qui sont les deux forme fondamentales du curriculum à la 
base. Mais, dés que l’on ne souhaite pas se limiter ou être prisonnier 
d’un concept fondamentalement dualiste, la perception de la relativité 
des deux concepts - omote/ura - permet de voir comment l’Aïkido est 
techniquement illimité et constitue le chemin vers la “Liberté”.
Un
 des problèmes que nous rencontrons dans les mots japonais utilisés dans
 la nomenclature de l’Aïkido concerne le sens de omote/ura et celui de 
irimi/tenkan. Souvent ces mots sont utilisés d’une manière 
interchangeable voire égale. En effet, il y a beaucoup de similitude 
dans le sens de ces quatre termes mais il y a des distinctions très 
nettes aussi.
Pour mieux comprendre les différences et les similitudes, c'est un bon procédé de se référer aux kanji. 
Irimi
 est composé de deux radicaux qui veulent dire respectivement “entrer” 
(iru) et “corps” (mi). Pris ensembles ils indiquent un sens de “rentrer 
avec le corps” ou “rentrer dans le corps” etc. Globalement on peut dire 
que cela veut dire de rentrer à l’intérieure de la sphère vitale de 
l’adversaire. Je me souviens d’une discussion avec Chiba Kazuo senseï, 
et il avançait l’idée que "irimi" voulait dire “Rentrer en se plaçant 
par rapport à l’adversaire de manière que vous pouvez atteindre ses 
centres vitaux sans pour autant que l’adversaire puisse en faire autant.”.
 Ceci correspond à la conception de l’attaque que l’on trouve décrite 
dans divers textes historiques militaires. L’implication ici est que 
l’Art Martial est fondamentalement “irimi”.
“Tenkan” 
est composé de deux kanji indiquant "tourner" ou "circulaire". En langue
 japonaise on trouve souvent l’accouplement de deux kanji différents 
mais signifiant presque la même chose - ceci est une manière de mettre 
de l’importance sur le concept exprimé (c’est véritablement vrai !…). 
Tenkan est, donc, un chemin détourné, laissant passer la force, pour 
ultimement effectuer “irimi”.
Ainsi, en observant les 
quatre termes omote/ura et irimi/tenkan on voit clairement des 
différences mais, en même temps on comprend comment il peut y avoir une 
confusion facile. Remarquez que si on ne se pose jamais la question il 
n’y aura pas de confusion… et on peut continuer à utiliser ces termes 
interchangeablement... bien sûr…
Une utilisation d’omote/ura que j’aime particulièrement est lorsqu’on décrit un phénomène différent mais complémentaire.
Par
 exemple, la puissance – "chikara" (aka. "ryoku") peut être décrite 
comme “omote chikara” et “ura chikara”. Le premier implique la force 
musculaire, de taille, de poids etc. tandis que le seconde - ura chikara
 - indique une force intérieure, une force cachée ou une force 
spirituelle que l’homme possède en lui. En Aïkido nous l’exprimons sous 
le terme kokyu ryoku - la puissance de vie, de la respiration, de 
l’esprit… Tout le temps durant notre entrainement en Aïkido on nous 
rappelle de ne pas chercher seulement dans la force extérieure, par la 
musculature, par l’opposition de force etc. mais d’utiliser le Ki, autre
 expression pour la force intérieure. L’erreur ici est de souvent faire 
un rapport de "bon" ou "mauvais" et de condamner "l’utilisation de la 
force" au lieu de voir la complémentarité d’omote/ura et de s’en servir 
correctement dans chaque circonstance - bon et mauvais n’ont pas de 
place ici.
Les techniques de l’Aïkido ont une 
construction bio-mécanique extrêmement précise qui considère le corps 
comme ayant des éléments "go" (solides, durs etc.) et "ju" (souples, 
flexibles etc.) - L’architecture du squelette et la structure des 
muscles, tendons, ligaments etc. Un mouvement du corps est toujours dû à
 une contraction musculaire (les muscles ne peuvent que se contracter). 
Cela veut dire que lorsque je ramène mes bras vers mon centre il y a un 
certain jeu de muscles qui se contracte. Lorsque j’ouvre mes bras vers 
l’extérieur dans le sens opposé il y a aussi un certain jeu de muscles 
qui se contracte mais pas le même jeu… Bref, pour tout mouvement un jeu 
de muscles est nécessaire ET le jeu opposé, mais complémentaire, devrait
 être éduqué en sorte qu’il ne fonctionne pas en opposition du mouvement
 exécuté - à savoir - parfaitement décontracté. Nous savons que souvent 
notre incapacité de faire un bon mouvement est dû à des muscles 
s’opposant à d’autres muscles dans le même temps. Sans aller plus loin 
dans cette explication nous voyons les termes “omote kinniku” et “ura 
kinniku” appliqués aux principes du mouvement du corps pour mieux 
comprendre comment poursuivre son éducation méthodique et efficace 
(kinniku veut dire muscle). Dans certains Budo la notion de développer 
et renforcer “ura kinniku” est un aspect essentiel des niveaux 
supérieurs.
Pour terminer cet excursion dans omote/ura 
je voudrais signaler une autre chose qu’on peut observer lorsque ces 
deux termes sont évoqués : comme ura représente le sens caché derrière 
omote, on évoquera souvent l'omote d’une chose 
en considérant ura implicitement. Puisque omote existe, ura aussi… et 
ura étant le sens caché…  va chercher!…
Calligraphies par Marie-Rosa Valuzzi
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