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Les 
traditions martiales se transmettent à travers des formes. D'où qu'elles
 viennent et de tous temps. Si l'une des modes actuelles est à la 
prétendue absence de techniques, formalisme et rituels, même une 
observation superficielle permet de constater qu'il n'en est rien. Oui 
les coutumes peuvent prendre d'autres formes, oui l'enseignement 
technique peut être limité et ouvert, mais tous ces éléments restent 
présents. Car si les principes représentent le fond, ils ont besoin du 
support que sont les techniques pour être transmis. Le danger à éviter 
est d'en rester prisonnier.
Prisonnier de la technique
Les
 traditions martiales japonaises se sont, probablement plus que toutes 
autres, reposées sur des formes, katas, pour transmettre des 
savoir-faire. Et cette façon de faire a prouvé son efficacité à travers 
le temps. Non parce qu'elle était la meilleure. D'autres limitant 
l'importance des formes ont passé l'épreuve des siècles et prouvé que la
 proportion des ingrédients pouvait être variable. Simplement, bien 
comprise, cette méthode de transmission fonctionne. Point.
Mais
 toute la difficulté est de comprendre comment fonctionne cette méthode,
 car une mécompréhension dans le domaine de la pratique martiale peut 
nous amener à développer un sentiment de compétence dans le combat qui 
peut nous être très, très dommageable. Avant tout il convient de 
comprendre que la maîtrise technique n'est PAS le but de la pratique 
martiale. C'est un simple moyen d'intégrer les principes qui sont 
l'essence de l'école/art que l'on étudie.
La
 situation martiale est imprévisible. Et elle l'était d'autant plus à 
l'époque des bushis qui cachaient jalousement leurs techniques. En 
raison de leur efficacité naturellement, mais aussi car il est beaucoup 
plus difficile d'agir efficacement face à une situation inconnue, à des 
mouvements ne faisant pas partie de notre champ d'expérience. Que l'on 
se souvienne de la supériorité temporaire mais écrasante des Gracie 
lorsque leur méthode était inconnue ! Aujourd'hui le Jujitsu brésilien 
est reconnu comme une méthode de combat efficace avec ses spécificités, 
ni plus ni moins que les autres. Simplement elle avait un avantage 
phénoménal lorsqu'elle était méconnue de la concurrence.
Le
 combat de survie où tout est permis étant par définition un saut dans 
l'inconnu (le combat rituel est une toute autre histoire que je 
n'aborderai pas aujourd'hui), aucun catalogue technique ne pouvait 
prétendre à présenter des solutions pour chaque situation, leur nombre 
étant sans limite. Le cursus d'une tradition martiale visait donc à 
sélectionner un ensemble de situations génériques qu'il convenait 
ensuite d'explorer, creuser, triturer pour se l'approprier. Se limiter à
 répéter ad nauseam un "programme officiel" est ainsi le plus répandu 
des culs de sac des Budos / Bujutsus. Etre prisonnier de la technique, 
c'est rester bloqué à la première étape de la transmission shu / ha  / ri, celle de la copie. Celle de l'enfant qui imite son père.
Pourquoi le kata
Les
 traditions martiales japonaises s'appuient sur des katas. Ces 
mouvements uniques (Judo, Aïkido, …) ou ces enchaînements de techniques 
(Kenjutsu, Jujutsu, …) réalisés par de véritables experts démontrent une
 efficacité incroyable. Malheureusement ils ne fonctionnent que de façon
 très superficielle si ils ne sont pas sous-tendus par une modification 
de l'utilisation du corps. C'est pourquoi même si le nombre de formes 
qui composent le cursus d'une école est limité, il est essentiel.
Dans
 les Koryus les katas étaient enseignés dans un ordre très précis, 
mettant l'adepte face à des difficultés croissantes. L'élève ne se 
voyait d'ailleurs enseigner les étapes suivantes que si il avait 
surmonté les difficultés des précédentes, et intégré les subtilités qui 
les rendaient efficientes. Les armes étaient enseignées dans un ordre 
défini, de même que les katas. Un kata supérieur n'avait pas plus de 
chance d'être réalisé par un pratiquant n'ayant pas maîtrisé les 
fondamentaux, que la théorie de la réalité d'être comprise par quelqu'un
 qui ne maîtrise pas les additions et soustractions.
Dans
 certaines écoles tous les principes étaient présents dès le départ mais
 à des niveaux "basiques", tandis que d'autres les révélaient au fur et à
 mesure. Le point commun était la progressivité de l'enseignement. A ce 
titre on ne peut que déplorer le choix de maîtres qui, pour des raisons 
financières ou de préférence personnelle, enseignent les formes à des 
pratiquants qui n'ont pas maîtrisé les niveaux antérieurs, soit font 
travailler les katas dans un ordre totalement aléatoire. Leur vision à 
court terme représente une menace pour la survie de leur école car ses 
pratiquants sans maîtrise ne sont plus capables de démontrer la moindre 
efficacité, et ils font en outre courir un risque aux élèves qu'ils 
entretiennent dans l'illusion.
Aïkido et Daïto ryu
Si
 l'Aïkido puise ses racines dans plusieurs écoles, la majeure partie de 
son catalogue technique est issu du Daïto ryu. Cette école mystérieuse 
fondée par Takeda Sokaku, a pour caractéristique d'avoir un catalogue 
technique plus qu'étendu, dont de nombreuses formes semblent avoir été 
créées pour illusionner les pratiquants. Si j'aborderai ce sujet dans un
 article à part entière, je me contenterai d'indiquer que :
-cela ne remet en aucun cas en cause la valeur de l'école,
-cette
 opinion est le fruit de réflexions et d'échanges avec de nombreux 
experts de Daïto ryu et de chercheurs sur cette discipline,
-si peu prennent le risque de le dire à voix haute, beaucoup en privé et même aux plus hauts niveaux du Daïto ryu l'évoquent.
Ueshiba
 Moriheï opéra dans son enseignement un retour aux sources dans le sens 
où il épura le catalogue du Daïto ryu de mouvements farfelus, et 
transmis un cursus restreint comme dans les Koryus. Charge aux 
pratiquants, comme à l'époque des Bushis, de se l'approprier en 
l'explorant après en avoir maîtrisé les fondements. Restent toutefois 
les écueils de l'ordre dans lequel les techniques doivent être étudiées,
 de la définition des principes et stratégies transmis, etc. Les 
pratiquants d'Aïkido et Daïto ryu ont ainsi entre leurs mains un trésor à
 l'état brut… qui ne permet rien s'il n'est purifié, raffiné. Une tâche 
titanesque.
Explorer pour se libérer
Le
 catalogue technique est donc l'outil qui permet de se confronter aux 
énigmes corporelles qu'est l'efficacité extraordinaire des grands 
adeptes. Un véhicule nous permettant d'accéder aux principes qui, seuls,
 sont garants d'une évolution, et donc efficacité, profondes. 
Malheureusement trop d'adeptes des traditions martiales japonaises, en 
particulier de l'Aïkido, se contentent de répéter le catalogue de leur 
école comme des hamsters courant dans une roue.
L'époque
 est à la simplification. Ce qui est simple se comprend aisément, mais 
peine à retranscrire la réalité complexe de notre monde. Et l'absence de
 nuances polarise, donnant naissance dans les domaines les plus divers à
 un intégrisme déplorable synonyme de régression. Et la pratique 
martiale n'y échappe pas. La mesure est essentielle. Dans la culture 
guerrière japonaise paradoxale, les Budos / Bujutsus s'appuient sur le 
carcan de la technique pour amener l'adepte à la liberté, la 
spontanéité. Mais tous n'arrivent pas à s'en libérer…
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